22 décembre 2005

La taille-douce en France : polemique

J'ai eu envie de prendre le contre-pied du discours actuel sur la gravure en taille-douce avec une thèse simple : le développement des émissions de timbre-poste en taille-douce passe nécessairement par l'adoption généralisée de la gravure électromécanique !

La taille-douce en France : timbres et philatélie

Si le nombre de timbres-poste en taille-douce a diminué régulièrement en France, le nombre de gravure taille-douce en général est plutôt en augmentation ! En effet, le nombre de timbre a une certaine tendance à augmenter : même en ne conservant que les nouvelles figurines (c'est-à-dire sans tenir compte des différentes présentations : feuille, roulette, carnet(s), bloc-feuillet, feuillet, feuille et entiers postaux, ...). Or chaque nouveau timbre - ou presque - fait l'objet d'un document philatélique officiel (DPO) et d'une « gravure » qui n'est qu'un sous-produit (au sens de la fabrication) du DPO.

Or un document philatélique officiel, quel que soit le mode d'impression du timbre ou de la série de timbres dont il fait l'objet, comporte en plus une version gravée de ces timbres et une illustration généralement en taille-douce. La taille-douce en France c'est donc surtout le DPO ! La production de timbre n'est en fait qu'accessoire (s'il n'y avait aucun timbre-poste émis en taille-douce, cela ne diminuerait pas le nombre de versions gravées !).

Le danger pour la gravure en France n'est donc pas dans la réduction des timbres gravés, mais dans la réduction des versions gravées et des illustrations réalisées en taille-douce par des graveurs : c'est dans ces documents que la GAO (Gravure Assistée par Ordinateur, où aucun poinçon n'est gravé) a commencé et se développe de manière importante (et en particulier pour les illustrations), bien plus que pour les timbres émis où cela ne concerne que les Marianne :

  • la Marianne de Briat (3 valeurs)
  • les Marianne de Luquet « La Poste » et « RF » (toutes les valeurs)
  • la Marianne de Lamouche (toutes les valeurs)
  • la Marianne de Luquet « fond mondial/de lutte/contre le sida/la tuberculose/et le paludisme » et la Marianne de Lamouche « Solidarité Asie » ont leur vignette réalisée en GAO.

Le DPO de la dernière émission de la Marianne de Briat :
son illustration et les textes est en GAO (dès 1996 !),
les Marianne imprimées sur le document restent issues d'une image
du poinçon mais les faciales ont été ajoutées informatiquement.

Le document philatélique officiel souffre depuis quelques années, ses ventes sont en baisse. Sa disponibilité est réduite depuis qu'il n'est plus en vente dans les 200 points philatélie : il ne reste disponible qu'à l'occasion des « Premier Jour », par correspondance et sur internet, ainsi que sous forme d'abonnement annuel avec un prix fixe pour l'année : cette forfaitisation a encouragé La Poste à ne plus faire systématiquement de DPO : il n'y en a pas eu pour les timbres autocollants Marianne d'Alger ou Marianne de Dulac par exemple, ni pour les nouvelles valeurs de la Marianne de Lamouche.

Il souffre certainement d'un manque de communication : la presse philatélique ne se fait pas l'écho de ces documents, présenter les illustrations avec l'annonce des nouveautés ferait beaucoup pour populariser cet document (mais La Poste diffuse-t-elle cette information ?).

L'achat auprès de La Poste de ces documents est une très mauvaise affaire financière. Le prix de vente de ces documents est actuellement entre 5 et 10 euros. Or ils se revendent très mal dans les bourses même à un prix compris entre 0,30 et 1 euro ! Le fait qu'ils soient très sur-cotés dans certains catalogues provoque d'immenses déceptions quand un collectionneur désire revendre 10 ou 20 ans de document et s'aperçoit des prix d'achats qu'il peut espérer (auprès d'autres collectionneurs, les marchands n'en veulent pas !).

Mais il suffirait d'un frémissement pour que tout change : les tirages ne sont après tout que de l'ordre de celui du bloc rouge-gorge, donc il suffirait qu'un faible pourcentage des philatélistes s'intéresse aux DPO pour que le marché s'inverse... Mais pour cela il faut mettre en avant ce document !

La taille-douce classique est-elle meilleure que la taille-douce électromécanique et la GAO ?

La réponse du point de vue artistique est clairement oui ! Le talent des graveurs fait toute la différence : un trait sûr, une maîtrise des profondeurs des tailles,... En taille-douce électromécanique un trait est un ensemble de petits points sérés, d'où un résultat à priori plus flou mais en pratique nettement meilleur qu'aux débuts de cette technique (sans doute du à une plus grande finesse de la pointe de diamant qui vient percuter le métal cassant de la virole). La profondeur des traits est uniforme : un problème induit est qu'elle impose des tailles d'une certaine largeur, alors que le graveur peut faire des tailles plus fines (et moins profondes).

D'ailleurs, le TVP Marianne de Luquet RF et le TVP Marianne de Lamouche existent en taille-douce classique, parce que la Semeuse de Roty-Jumelet et la Marianne de Dulac-Larrivère dont ils partageaient un carnet ne donnaient pas de bon résultats en taille-douce électromécanique.

Mais si c'est vrai dans l'absolu, ça ne l'ai pas forcément dans la pratique. La Marianne de Lamouche (ou Marianne des Français pour utiliser la terminologie officielle) n'a pas nécessité une gravure subtile. Même la Marianne de Luquet (ou Marianne du 14 juillet) n'a pas un aspect particulièrement plus mauvais quand les viroles sont confectionnées par la méthode électromécanique par rapport à la méthode mécanique. La Marianne de Briat, au contraire, avait un aspect dégradé dans sa version numérique, sans doute à mettre sur le compte de la première génération de machine à commande numérique utilisée ; le modèle OHIO était en fait destinée à la confection des cylindres pour l'héliogravure.

La GAO (utilisée ici pour la vignette à droite)
et la confection électromécanique des cylindres
ont permis cette émission dans des délais extrèment cours.
Le graphisme à droite ne nécessitait pas le talent d'un graveur

De plus, on peut supposer qu'à plus ou moins long terme cette technologie encore jeune s'améliore d'avantage : une pointe de diamant plus fine, une gestion de la profondeur des tailles en fonction de leur largeur voire une numérisation en 3 dimensions du poinçon gravé par l'artiste pour que la profondeur des tailles soient restituée.

Une logique industrielle

La Poste est une entreprise, publique certes, mais une entreprise non subventionnée par l'Etat qui doit à minima équilibrer ses comptes (et donc a un objectif de bénéfices). Elle se modernise pour faire face à la concurrence qui sera bientôt totale.

Les abonnements aux nouveautés chutent, donc les rentrées d'argent que lui rapportent la thésaurisation des timbres neufs diminue (elle a en plus à supporter le coût de l'utilisation des timbres émis il y a des années et qui se retrouvent sur le courrier). Or c'est l'argent dépensé par les philatélistes sans contrepartie de service postal qui lui permet de financer la réalisation de timbres de collection bien plus coûteux que les Marianne ! Comme elle a moins de recettes, elle doit diminuer ses coûts de production : l'héliogravure et l'offset coûtent moins cher. La taille-douce électromécanique coûte moins cher que la taille-douce classique. On peut supposer que le coût de réalisation des viroles en taille-douce électromécanique est similaire à celui de réalisation des viroles en héliogravure, après tout c'est la même machine OHIO qui a put servir dans les deux cas !

Donc d'un point de vue industriel, le choix de la taille-douce électromécanique n'apparaît sans doute pas comme disproportionné comme l'est le choix de la taille-douce classique. Ce qui veux dire que la taille-douce électromécanique peut sauver la taille-douce, parce que le choix de ce procédé relève alors d'un choix artistique, là où la taille-douce classique peut ne pas être choisie seulement sur des critères financiers : la taille-douce traditionnelle peut être rejetée sans examen à cause de son coût.

Pourquoi imprimer en taille-douce ?

La première raison du choix de cette technique d'impression est son aspect sécurisé : un timbre en taille-douce ne peut être confondu avec un autre type d'impression, il y a un relief caractéristique. La taille-douce n'est pas un procédé d'impression répandu, en dehors des imprimeries spécialisées dans l'impression sécurisée (billets de banque, titres restaurants, billets de spectacles,... et timbres-poste !) il n'y a pas d'imprimeries dotées d'un outillage industriel en taille-douce. Le fait qu'il s'agissait - avant l'apparition de la taille-douce électromécanique - d'un procédé imposant une gravure manuelle rendait aussi la reproduction difficile : il fallait qu'un autre graveur (et c'est un talent rare) reproduise le plus fidèlement possible le travail du graveur d'origine. Il est quasiment inévitable que des différences mineures apparaissent dans la gravure.

Encore faut-il que le timbre ait besoin de cette sécurité : ce n'est guère le cas des commémoratifs, que la courte durée de vie et la diffusion plus difficile et moins discrète protègent déjà efficacement contre la contrefaçon. C'est le cas des timbres d'usage courant et en particulier du plus diffusé (celui de la lettre simple intérieure, le TVP actuellement). Mais ces timbres ne sont pas toujours assez complexes du point de vue de la gravure pour que la taille-douce soit une protection efficace : la Marianne de Bequet, la Marianne de Briat ou la Marianne de Lamouche ne répondent pas à cet objectif (d'ailleurs, la Marianne de Briat a connu de nombreux faux). Les contrefaçons sont identifiées plus par rapport à leur dentelure, leur marquage phosphorescent ou leur papier que par leur impression.

Le choix de la taille-douce est aussi artistique : ce procédé permet de faire des timbres qui restent magnifiques agrandis (on peut parfois les apprécier davantage comme cela !), et dont le relief donne un toucher particulier. Mais il y a des inconvénients, comme un nombre de couleur limité et des couleurs qui ne se mélangent pas, on obtient une approximation des à-plats en faisant des lignes entrecroisées.

Les inconvénients de la taille-douce peuvent disparaître quand ce procédé est combiné (en particulier avec l'offset). On a le meilleur des deux mondes, les couleurs éclatantes (et éventuellement combinées) de l'offset et la précision du trait de la taille-douce. L'utilisation de papiers couchés donne aussi de bons résultats, il faut saluer l'imprimerie de Périgueux qui a généralisé l'utilisation de ces papiers pendant la fin des années 1990 et grandement amélioré le rendu de ses productions en taille-douce.
TVP vert Marianne de Lamouche (avec un petit décalage de dentelure)
Le cylindre d'impression n'a pas été gravé mécaniquement,
il semble que la presse TD215 "Epikos" utilise un procédé photo-chimique.
Le résultat est très bon, le papier utilisé y est également pour beaucoup !

Par contre, il semble que le choix d'autres procédés soit artistique ou plutôt marketing : le timbre doit se voir, intégrer la modernité nourrie de photographie, d'affiches, de couleurs. Ce choix est discutable, on peut regretter que La Poste ne choisisse jamais par exemple la taille-douce pour les timbres semi-permanent dont la vocation est d'aller vers le grand public. Le timbre se banalise en objet courant, il perd son côté exclusif (que la taille-douce renforce) en adoptant les codes et l'esthétique ambiante.

Conclusion

On peut le regretter, mais l'avenir de la taille-douce dans la philatélie française n'est pas forcément lié à celui des graveurs de timbres-poste. Ces derniers ne sont plus indispensables ; même si leur travail est supérieur à ce que produit les machines, ces dernières produisent un résultat d'une bonne qualité tant qu'on ne regarde pas le timbre à la loupe. Son développement répond à la logique financière de La Poste, représente le progrès technique : il semble inévitable.

Il faut aussi réhabiliter le document philatélique officiel ou inventer de nouvelles présentations : le DPO ne touchera jamais le grand public, là ou par exemple des produits de carterie pourraient le faire : imaginons par exemple des encarts avec une illustration taille-douce et un timbre-poste oblitéré premier jour, inséré avec une feuille de correspondance dans un PAP illustré (en prolongeant l'idée des timbres du quotidien : voeux, anniversaires, ...). Car n'oublions pas que le timbre ne représente depuis longtemps qu'une minorité de l'art de la gravure dans la philatélie française.

La balle est dans le camp de La Poste mais aussi des philatélistes qui peuvent envoyer un message à La Poste en choisissant de préférence les timbres en taille-douce et en achetant les produits artistiques de La Poste, mais aussi de la presse philatélique qui peut faire davantage pour mieux exposer les diverses créations en taille-douce et en particulier le document philatélique officiel.

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